relevés et textes d'ateliers
2024 /
les écritures numériques de novembre
ATELIER
ECRITURE ET TRADUCTION CREATIVES
Ecrire un texte, faire traduire son texte, traduire le texte de quelqu'un d'autre,
avec une langue de départ et d’arrivée qui est la même,
en l’occurrence la langue française.
La saveur d'un monde
proposition d'écriture traversée par : Jour après jour, un film de Jean-Daniel Pollet, réalisé par Jean-Paul Fargier, 2007, un projet artistique de Lise Chevalier, livre et installation, Il faudra trois saisons.
⟶ site de l'artiste Lise Chevalier
texte de création 1
Le monde dans lequel je vis, est fait d’espaces diffus, étranges, dilatés, étirés.
Tout y est possibilités démesurées, d’univers parallèles,
de formes, de couleurs, de sonorités où tout se joint et se disjoint à l’infini.
Parfois présente, absente, je deviens tour à tour ombre, lumière, arc en ciel
fleur, abeille, parfum suave, feu crépitant, bourrasque déferlante.
Dans cet espace invisible au regard, accessible à celui qui sait voir, accueillir l’inattendu,
une brèche s’ouvre alors, silencieuse, créatrice, invitant à la poésie.
texte de création-traduction 1
L’Univers dans lequel j’évolue, est fait d’étendues,
délaye nos pensées particulières, longues, distendues.
Fait de jeux illimités, de métavers,
de géométrie, de tonalités, de vers enlacés et délacés sans cesse.
Tantôt ici, tantôt ailleurs, je me fais sombre, éclipse, phénomène lumineux, plante, insecte, senteur exquise, feu de joie, ouragan.
Sur ce chemin invisible à l’œil nu, vu seulement par ceux qui savent observer, bras ouverts au champs des possibles,
Au seuil de la vie, douce, artiste, convoquant l’harmonie
Fouzia et Marion
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texte de création 2
« Je n'aime pas savoir, je préfère marcher »
La maladie me ronge depuis déjà longtemps. Je le sais sans le savoir. Je fuis ma réalité. Je sens que les choses m'échappent, je ne contrôle plus grand chose, mes envies, mes projets, mes besoins. J'entretiens une relation avec une femme depuis plusieurs années, Isabel. Elle me dit qu'elle m'aime, mais veut-elle réellement mon bien ? J'en suis là, très las, de me demander tous les jours, au réveil comme au coucher ce que veulent les autres. Pourquoi sont-ils entrés dans ma vie, quelles sont leurs intentions. En réalité, il me semble que je me suffis à moi-même.
Aujourd'hui, je fuis littéralement. Je ne peux pas rester en place, je ne peux pas rester assis, ou couché, ou debout, immobile. J'ai le besoin irrésistible d'avancer, de traverser l'air qui m'entoure, de fouler la terre, de traverser les ruisseaux, de dépasser les arbres. Je dois être en action, mon corps me dit de bouger, ma tête ne me dit plus rien. Moi qui ai tant sollicité mon cerveau à essayer de comprendre les relations entre les hommes, entre les hommes et les femmes, entre moi et les autres. Moi qui ai tant usé mes neurones à étudier, avoir mon diplôme d'ingénieur en informatique, mettre en place des projets et inventer de nouvelles technologies. Aujourd'hui, c'est mon corps qui me guide. Je ne comprends pas ce qu'il m'arrive et je fais bien. Je suis las. Je ne veux rien savoir de ma maladie. De toutes façons je ne comprends plus le monde qui m'entoure. Je sais que mon cerveau dégénère. Les messages que le monde m'envoie, le monde des autres, dépassent mon entendement. Impossible de répondre, de répondre à leurs attentes. Je ressens leur failles, leurs désirs, leurs colères, leur désespoir de me voir leur échapper. Alors je fuis. Je suis seul dans ma bulle, emprisonné dans mon corps encore valide. Il me reste mes mains pour toucher, mes lèvres pour embrasser, ma bouche pour goûter aux saveurs, mes jambes pour arpenter le monde. Je ne veux plus rien savoir, d'ailleurs sait- on jamais. M'ont-ils vraiment aimé, m'ont-ils vraiment respecté, m'ont-ils vraiment compris. Moi je suis moi, et les autres sont les autres. Je retourne en moi car moi seul moi peut savoir qui je suis. Mes neurones font le tri, ils font un grand ménage dans ma tête car elle est trop pleine. Trop pleine de la bêtise du monde des autres. J'ai stocké trop d'informations inutiles. Les pensées s'envolent au fur et à mesure de mes pas. Les branches des arbres les attrapent et les avalent. La nature m'observe, m'entoure et me protège avec bienveillance, c'est la seule chose que je sais vraiment.
Mes souvenirs m'assaillent, je dois m'en débarrasser. Je marche, je marche, en espérant que les souvenirs revenus à ma conscience s'envolent. Le passé me hante, ou plutôt, c’est moi qui le hante. Je suis absent du monde, je me suis déconnecté du monde pour tout oublier. J'ai le secret de ma guérison.
texte de création-traduction 2-1
Mes sens endormis, j’entame une lente déambulation. Fragile, mon corps las, chemine dans une étrange euphorie. Est-ce réel ou bien suis-je simplement en train de rêver ? Autour de moi, le monde s’accélère, m’arrachant à ma solitude. Je lutte, m’en défends, résiste mais je ne peux m’en extraire. Tout paraît obscur, bourdonnement incessant. Je tente encore une échappée, une esquive pour me défaire de cette nuit qui m’a enveloppée.
J’entends, je vois, je ressens tout ce qui se dit, s’exprime dans des paroles sibyllines, des silences, des regards, des gestes qui paraissent si loin et si proche à la fois. Parfois, des personnages étranges, des êtres qui me ressemblent s’adressent à moi, m’interpellent comme pour tenter de me ramener vers les vivants, le vivant. Ils m’entourent maintenant, me consolent puis repartent. L’étreinte fut éphémère.
Je suis toujours là, consciente, présente, attentive à l’étoile qui éclaire mon être. Ne pas la perdre de vue. Ne pas l’oublier. Ne pas m’oublier. Je chemine gardant à l’esprit que rien n’est grave, ni définitif. Seule compte l’étincelle créatrice, celle qui me guide dans ce tumulte incessant.
texte de traduction-création 2-2
Je suis malade depuis longtemps déjà. Je ne veux pas savoir et j’éprouve une difficulté d’être. Une difficulté d’être avec. Avec eux. Projets, relations, amours... Je ne veux pas savoir et pourtant je réfléchis : eux, eux, eux. Tous les jours, je réfléchis. Que veulent-ils de moi ? que me veut-elle ? Je ne veux pas savoir. J’aimerais être, simplement, avec moi-même.
Aujourd’hui, c’est une fuite en avant et à travers. A travers quoi ? Air, eau, terre, bois. Une fuite de tout le corps en avant de mon cerveau. Je ne veux pas savoir, je veux être au-delà du cerveau, au-delà d’eux, de nous, au-delà de ce moi si fatigué d’être avec. D’être avec des projets, des diplômes, des horaires. Cette difficulté d’être avec. Avec eux, leurs désirs, leurs colères, leurs désespoirs.
Aujourd’hui, c’est une fuite simplement avec moi-même : toucher, humer, franchir, mes seules prouesses. De tout mon corps. Je ne veux pas savoir. Je veux aller en avant et à travers. Je ne veux pas savoir. M’ont-ils vraiment aimé, m’ont-ils respecté, m’ont-ils compris. Je ne veux pas savoir, c’est simplement une fuite avec moi-même. Je retourne simplement avec moi- même. De la cellule de mon corps, bêtise, vanités, pensées se détachent. Mon corps passé à travers air, eau, terre, bois. Air, eau, terre, bois ont filtré bêtise, vanités, pensées. La nature m’observe dans ma fuite en avant et à travers, dans ma fuite de tout le corps.
Mes souvenirs, mon passé, cette difficulté d’être s’envolent dans cette fuite en avant avec moi- même. Mon absence d’avec les autres est l’oubli, le secret. Dans cette fuite en avant et à travers, mon absence, ce sont mes retrouvailles avec moi-même. Mon absence, c’est le secret de ma guérison.
Gaëlle , Fouzia et Jordi
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texte de création 3
J'aime vagabonder au petit soir, quand tout arrière-plan s'évanouit dans le bleu indigo. J'aime ouvrir la ville après quatre jours solitaires, après la première annexion du temps, la ville s'adoucit, la ville épouse allègre.
J'aime marcher dans les rues de Nancy, place Stanislas où le petit soir s'achève. J'aime marcher dans les couleurs tendres de Český Krumlov secrète (rose pâle, bleu pastel, blanc crémeux, vert pomme). J'aime marcher sur les pavés de Venise, Tbilissi, La Rochelle (peut- être Lisbonne ?)
J'aime vagabonder au petit soir frais dans la ville, après quatre jours d'annexion, la ville s'adoucit, la ville épouse allègre.
texte de création-traduction 3
La ville, mon refuge
Quand le crépuscule tombe et s'empare du décor, Noctambule invisible, je m'empare de la ville, entité minérale aux couleurs fondues. Les rues sont ma boussole. Elles me guident vers des territoires complices.
Mon pas est vif, l'air est piquant. Le temps et l'espace s'étirent. Quatre lunes que je déambule seul, que je parcours sa géographie, que je perce son mystère.
Mes talons claquent sur le bitume, adoptant le rythme endiablé des soirées nocturnes. Mon corps subtil frôle les vitrines illuminées, l'air de ne pas y toucher.
La ville, lorsqu'elle se tait, aux heures sombres où la lumière du décor s'estompe, la ville, ma complice, m'accueille dans ses niches secrètes, aux secrets intrigants.
La ville, lorsqu'elle s'apaise au petit matin et qu'il ne reste que des murmures, la ville, mon refuge, m'enveloppe dans son brouillard minéral, et je m'y fonds avec délice.
Jordi et Gaëlle
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texte de création 4
J’ai le cœur gros, le sang froid, l’esprit chaud.
Je prends la vie comme elle me vient, avec ses hauts, avec ses bas.
c’est bas. Goût aigre. Pas doux.
L’impression de me perdre. Dans les méandres de mes pensées.
Tout se bouscule, se mélange, devient confus. Fou.
Je cherche, fouille et tente de comprendre. Tout. Tout le temps. Trop.
Le temps est gris, lourd et froid.
Comme mon esprit. Gelée. On se les pèle ! À Triffouilli-les-oies.
Mon monde n’est que capharnaüm. Saoule de ce baba, saoulée de tout débat.
Marre des cases. Marre du vite. Marre du vide de sens.
Des guerres et des redites. Fontaines de larmes et corps meurtris.
Blessée et lasse, la tête basse. Grasse de rhétoriques absconses.
Pâlit la lumière. Enserre les ronces. L’hiver a tout emporté.
Aucune saignée ne saurait me guérir de ce mal qui me ronge.
Pas même un songe ne m’emporte loin de ce monde.
Texte de création-traduction 4
Mon âme est glaciale.
Je suis si triste, le corps arrêté, mais mes pensées sont en route à toute vitesse.
L’existence quotidienne se déplie elle décide du flux et du contenu, momentum joyeux ou infortune.
Cela peut être terriblement indigent, amer, saisi par la rugosité.
Le fil semble perdu, je suis égarée dans mon esprit si difficultueux.
Tout s’enchevêtre s’emmêle s’obscurcit. C'est insensé.
J’enquête, investigue, veut saisir la totalité et cette recherche permanente épuise.
Pas de vaste lumière au dehors, c’est pesant et glacé.
L’âme est morte froidure et froidure à Trifouilli-les-Palmipèdes-Eh.
Je suis au coeur du grand désordre trop enivrée malade de trop d’idées.
Définition d’expert généralisée accélération du calendrier que cesse cette idiote façon de vivre.
Batailles et oiseuses reprises, les pleurs s’écoulent et les corps s’abiment.
Touchée et dégoutée, affligée j’exsude l’éloquence inintelligible.
Les lueurs s’éteignent, les buissons épineux sont tenus enfermés. Le temps si froid efface le paysage.
Profondément altérée, point de remède pour mon cas désespéré.
Et nulle rêverie pour me diluer dans l’autre espace.
Marion et la Visiteuse
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note d'activité
Dans cette activité double écrire et traduire on perçoit mieux la mobilité de la langue sa capacité à muer à muter, mais aussi ce que l’on en fait subjectivement, le sens attribué est volatil malgré une langue très figée : la langue française propose un vocabulaire très précis mais difficilement permutable, il faut alors inventer des expressions et déstructurer la syntaxe très organisée, créer plus que des rythmes - cela ne suffirait pas - , elle se prête par contre très bien à la déambulation de l’image et là on en retrouve beaucoup dans les versions d’interprétation.
traductions : le texte de départ est globalement respecté. On localise un « Je » masculin mutant en un « Je » féminin, les deux versions du même texte de Gaëlle sont fascinantes. Cela donne des textes poétiques ouverts aériens flottants, riches en couleurs et en mouvements, indociles, liberté et trouvaille. La langue française porte très bien le « je ». Un soulèvement des textes sans conteste.
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les écritures numériques de septembre
ATELIER
Etre ensemble
herbes sauvages et soleils implacables, espaces vides et bricolages existentiels, enfants espiègles et invitation au voyage
or, indiscutablement, c’est l’affection qui est la trame de la vie familiale, une trame dont la caractéristique est de couvrir plusieurs générations
au plus près des expériences quotidiennes que chacun fait avec ses proches : le baiser, la caresse, le sommeil partagé
situations concrètes et anodines dont la valeur ne tient qu’aux sentiments et aux émotions qui y sont partagés et c’est pour cela que chacun peut rêver de s’y reconnaître ou d’y reconnaître ses proches
le monde est traversé par une espèce d’émotion invisible qui colle ensemble les choses et les êtres
la famille est cette réalité souvent terrible et ingrate de laquelle nous avons tous besoin de conserver une image tendre et émouvante
la famille, enfin, participe à l’ordre du monde autant que la mer, le soleil et le vent
dans une émotion qui les renvoie l’un à l’autre, mais, en même temps, le décor participe à l’émotion qu’ils partagent. L’environnement n’est pas seulement l’espace de l’action, il enveloppe, porte et accompagne l’échange tendre
Proposition d'écriture de cet atelier donnant quelques appuis : extraits tirés de Une Nouvelle mythologie familiale de Serge Tisseron (voir ci-dessus) →accès au texte complet - quatre photographies de Bernard Plossu, une photographie de Sally Mann, " Immediate Family, Sorry game ", 1989.
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les écritures numériques de juillet
L' ATELIER FURTIF
une écriture collective qui avance en collectant
texte composé à douze mains
La jeune fille rit doucement de joie de corps. Ses jambes minces, lisses, ses seins petits ont surgi de l'eau. Elle se connaît à peine, n'a même pas grandi entièrement, elle a seulement émergé de l'enfance. Elle étend une jambe, regarde son pied de loin, le meut tendre, lentement comme une aile fragile. Elle lève ses bras au-dessus de la tête, vers le plafond perdu dans la pénombre, les yeux fermés, sans aucun sentiment, seulement du mouvement. Son corps s'allonge, s'étire, resplendit humide dans la demie obscurité -c’est une ligne tendue et tremblante.
La créature grandit seule dans ce petit bout d’océan au milieu des coraux, des tortues, des raie mantas et poissons multicolores. On ne savait pas bien ce qu’elle était. La légende raconte qu’elle était immortelle et qu’elle pouvait prendre la forme de toute chose qu’elle croisait sur son chemin. Les pêcheurs du coin se transmettent l’histoire de père en fils et de mère en fille depuis cinq-mille ans. Chacun rêve de l'attraper. On dit que la créature vit dans une cavité dans les profondeurs d’un grand trou bleu au Mexique, mais lequel ? Quiconque la capture voit tous ses rêves se réaliser. Le petit embryon prend goût à la vie. Il se développe tranquillement sous le rocher, tapi dans l'ombre, à l'abri du mouvement incessant des vagues. Qui l'a mis au monde, d'où vient-il ? Nul ne le sait, et tant mieux. Une sonde issue d'un étrange vaisseau spatial l'a déposé furtivement et l'a laissé aux bons soins de l'océan. Petit à petit, l'embryon prend conscience de son corps, une enveloppe nécessaire à sa survie sur Terre. Il connaît sa mission programmée par les Autres. Sa conscience est toute à son développement et sa croissance, qui doit arriver à maturité à temps. Plus que quelques jours avant que le processus n’arrive à son terme. « Les vagues me bercent et me façonnent, je dois prendre soin de ce qu'ils appellent mon corps », se dit le jeune embryon. Le petit embryon est devenu cette jeune fille qui rit de voir son corps si grand, si développé, lavé grâce à l’eau de l’océan déversée dans cette large baignoire. La jeune fille pleine de mouvement naturel sommeille un peu, elle pense à l’harmonie de ce corps, à sa porosité, à son esprit tellement étrange. Elle sait que quelque chose d’intriguant loge dans cet esprit, elle ne le comprend pas tout à fait, parfois elle se sent comme guidée de très loin, elle semble recevoir un langage étranger à ce monde. Elle se laisse souvent aller à la digression obscure, emmenée par les courants capricieux et subtils de son esprit. Maintenant elle regarde à nouveau ce corps, qu’elle trouve étonnamment libre, sensoriel, terriblement humain, mais elle sait qu’un glissement doit avoir lieu, que ce corps devra regagner l’ombre et glisser sous les roches cachées. Mais là maintenant elle goûte sa présence dans ce corps, ses petits mouvements gracieux, elle respire longuement, le temps est suspendu. Elle ressent le flux des eaux en elle, un énorme volume d’eau en elle, sans comprendre vraiment pourquoi ce sentiment la rend folle de joie. Elle lève à nouveau ses bras et se rend compte que l’espace devient légèrement brumeux. Elle a le sentiment d’une présence, pourtant pour l’instant invisible. L’air brumeux se fait soudain grisâtre. Un silence s’installe rendant l’atmosphère étrange, comme si la vie avait cessé. Pourtant, elle n’a pas peur. Allongée sur le récif, elle sait son heure arrivée, celle de quitter ce corps qui ne lui a jamais vraiment appartenu. Comme emportée dans un doux rêve, elle sent cette Présence inconnue, elle n’aurait su l’expliquer ou la décrire, envelopper son être et doucement, la déposséder, la rendant orpheline, perdue, dans l’attente d’une nouvelle histoire à écrire. Furtivement, sa volonté la quitte, son corps et son être rejoignant l’obscurité apaisante. Elle n’est plus alors que sensation, souffle dont les effluves diffusent, s’étirent, se dispersent dans l’atmosphère pour mieux se retrouver, former une nouvelle énergie vitale. Sans regrets, celle qui n’est plus corps, commence une lente ascension guidée par cette force invisible vers les cieux ou peut-être autre chose, attendant un nouvel appel vers un destin inconnu.
Que devient-elle encore ? Créature, fille, force, brume, embryon, océan. Sa forme jamais atteinte, éternelle, voit le jour à demi, son corps, étranger à elle-même, s’éveille, aussitôt s’évapore. Arrivée à son terme, elle divague, s’abstrait, se soulève. Tangible, il ne reste qu’une ligne d’eau, étale et opaque. La jeune fille est pareille au hasard du poète. Vaguement, toute tentative de saisie s’achève, et rien n’aura eu lieu que le lieu. Une dissonance, son rire feutré, peut-être.
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Note de lecture
Un texte donnant un sentiment de perpétuel déplacement magique pas tout à fait inquiétant, qui accomplit le passage, mue, marée, glissement fantastique, restant impénétrable, gazeux liquide. Un texte de l’épreuve, succession d’effigies se refondant sans cesse, portant le défi du vide. Un corps, une sphère, un air de promenade, mais tout a la qualité de la surprise.
M.D.
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Merci à Clarice Lispector pour les six premières lignes, extraites de " Près du coeur sauvage ", traduction de Claudia Poncioni et Didier Lamaison, Les Editions Des femmes Antoinette Fouque.
Merci aux Furtifs-participants, Gaëlle, Marion, Laurence, Fouzia, Jordi.
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les écritures numériques de mai
ATELIER
Métamorphoses
Faut-il avoir le goût de la surprise ?
Envisageons une pratique de quelque chose d’autre. Entamons un processus d’exploration, une phase expérimentale, un dédoublement. Dévissons, saisissons, saisissons un contexte apparaissant soudain, qui va aider, et peut-être plaire énormément. Une perception qui se soumettrait à un nouvel appel, à une nouvelle zone critique, à de nouvelles limites.
Le fil rouge de tout cela ? Le flux de l’écriture, sa plasticité jamais déterminée à l’avance, prête à toutes les formes, à toutes les performances, à toutes les colorations.
Faisons un bref insert amusé de mythologie antique, Zeus le tonitruant, l’avide, toujours prêt à toutes les métamorphoses pour concrétiser son désir, le tuer, atteindre son but (et Socrate d’alléguer que « les métamorphoses des dieux sont un démenti à leur perfection »). En tout cas dans cet atelier, pour faire vertige de la transformation, plier son corps son esprit d’une autre manière.
Proposition d'écriture de cet atelier traversée par Lewis Caroll, Alice, Les topographies romanesques de Pierre Senges (Presses universitaires de Rennes 2011), Balthus.
Dans un lit d’herbe
comme la loutre flotte
l’enfant endormi
*
Depuis un instant
une femme qui boite
si petit caillou
*
Envoyée de Zeus
l’aigrette du pissenlit
se perd en chemin
*
Le cri du corbeau
dans l’hiver déjà passé
un écho trouvé
*
Dans ce long terrier
Alice merveilleuse
tu es l’invitée
*
Espoir de l’amour
un visiteur du matin
le lézard agile
*
Chemin lumineux
dans le sous-bois gelé
les jacinthes bleues
..
Le cri du paon
orienté vers le désir
plus pénétrant que la nuit
le duduk enrobe le petit jour le cri du paon rallonge le soir
toi te rendras-tu
te rendras-tu à sa musique
je marche sur l’immortel chemin
je marche jusqu’à la route goudronnée le goudron noir
le goudron ténébreux
soudain
le son de mes pas
plus pénétrant que le jour
le troublant jasmin qui remonte le jasmin alourdi de gouttes
le goudron devenu noir et rose
le goudron humide rompu de nuées
jusqu’au petit soir
je marche
le cri du paon orienté rallonge le chemin jusqu’au doute
te rendras-tu à sa musique
te rendras-tu à son chant orienté
sur le chemin je doute
les maisons mordorées et laides
mais le goudron maintenant laiteux et rose le goudron est rompu de nuées
les nuées désorientent la route
le cri du paon rallonge le soir
soudain
le jasmin te trouble
tu ne penses plus je tremble
tu ne penses plus je hume
tu ne penses plus j’écoute
toi aussi tu chantes
..
Métamorphose
Met ta ceinture
Met ta casquette
Met ta crème solaire
Et il faudrait que je supporte une injonction de plus ?
Met ta morphose !
Si encore je comprenais ce dont il est question avec cette morphose, mais je dois dire que c!est obscur. Voir abscons. Un peu mystérieux aussi. Je n!aime pas trop agir sans comprendre alors si vous souhaitez vraiment que je mette cette morphose, il va falloir m!expliquer un peu plus. Je lis un peu plus loin qu!il faut tenter un origami corps/esprit/ici. Le pliage terminé, on dé- couvre son identité. Renouvelée avec dextérité ou froissée par impatience. Bon, admettons que je mette ma morphose, j!ai peut-être alors plus de chance d!exister sur le territoire du récit ?
Je reconnais que, sans morphose, je reste très terre à terre, je manque d’élévation.
En l!enfilant, les mots guident mes pas dans le champ confus de ma carte mentale. Mettre sa morphose semble donc presque indispensable à quiconque traverse une expé- rience onirique, voir psychédélique. Un dédoublement du moi conscient et de l!autre qui m!habite, en somme. Admettons. J!en viens alors à la question suivante : comment enlever sa morphose lorsque le vertige a assez duré ?
Dois-je entendre « mort faut-je» ?
J!espère me tromper car, alors, l!expérience devient dangereuse. On pense qu!il s!agit juste d!obtempérer temporairement et on se retrouve devant un enjeu vital. Le glissement est ra- pide. On croit jouer et hop ! Nous voilà entraîné plus loin que prévu. Mais ta maurfose peut aussi être considérée sérieusement sous l!angle de ce que Socrate nomme « l!impensé de la perception » et alors, c!est abyssal.
..
Métamorphose, coup de poing, coup de grâce
-Tu es moche, tu ne sais pas danser, tu n'as vraiment pas d'allure, allez, relève la tête !
Mon père met de la musique et a sa tête des jours bénis, un sourire accroché aux lèvres, qui ne présage rien de mauvais à venir, en tout cas dans l'immédiat. Alors je commence à danser, embarquée dans ce moment de grâce. Je bouge mes pieds, mes hanches, enfin j'essaie. Je regarde mes pieds et mes mains, mes bras sont inertes, collés le long de mon corps rigide. Je m'efforce de suivre le rythme de la musique. J'amorce un trémoussement timide et gauche. Je n'ose pas. Je suis bloquée dans un cylindre étriqué qui m'empêche d'onduler. Et pourtant j'aime cette musique. Mon père aussi. C'est un moment de partage. C'est un moment de bonheur en famille. Ma sœur et mon frère dansent aussi, surtout ma sœur. Je sens le regard de mon père uniquement porté sur moi, un regard affûté, cinglant, dominateur. Je voudrais qu'il me trouve belle, qu'il me dise que je danse bien, qu'il soit fier de moi, qu'il m'admire. Il est là, dressé devant moi, me fixant, m'auscultant, me jugeant. La sanction ne tarde pas. Je reçois la phrase assassine.
-Tu es moche, tu ne sais pas danser, mais relève la tête enfin, allez, arrête de regarder tes pieds, tu n'as vraiment pas d'allure !
Ma mère n'est pas loin, elle regarde la scène, j'en suis sûre. Se régale-t-elle de constater qu'elle n'est pas la seule à subir ses reproches, ses critiques, ses coups de sabre, si bien ciselés qu'ils la réduisent à néant. Non, elle n'est pas la seule. Ses filles aussi subissent le même sort. Alors ça la rassure. Elle ne dit rien. Elle est rassurée. Elle est rassénérée. Elle respire. Que se dit-elle ? Que ressent-elle ?
Je ne suis pas fière. Je ne suis pas fière de moi, je suis pas fière de ma mère. Je ne suis pas fière de moi car je ne sais pas danser, je ne suis pas assez belle pour mon père, je ne lui plaîs pas, je ne suis pas à la hauteur. Je ne suis pas fière de ma mère car elle n'est pas capable de rassurer son enfant qui se pétrifie, qui essaie de retenir ses larmes, mais qui pleure quand même.
-Ah, Jean qui rit, Jean qui pleure !
Voilà la seule chose qu'elle peut dire, la seule chose qu'elle sait dire.
C'est vrai, elle a raison, je riais quelques minutes avant de recevoir le coup de poing. Maintenant je pleure. J'aurais bien aimé continuer à rire, à danser, à m'amuser.
J'admire mon père. Il est très beau, très charmeur. S'il n'avait pas la barbe, il ressemblerait à Alain Delon. Ma mère l'admire aussi. Ma sœur, non. Elle se contente de vivre à côté de lui, mais elle sait qu'elle ne doit rien attendre. Résignée sans doute.
Je suis le trouble-fête dans cette histoire. Tout s'arrête, la musique s'arrête. Ma sœur, mon frère et moi nous réfugions dans un coin de la maison, nos chambres probablement, ou dehors, comme souvent, notre refuge quand l'orage menace. Je suis à un état larvaire, enfermée dans une chryslide qui tarde trop à se déchirer. Je suis incapable de m'épanouir, de m'ouvrir et de sortir de ce carcan paternel.
Quand relèverai-je la tête ?
Il m'a fallu attendre cinquante ans pour déjouer l'emprise et me faufiler hors des sentiers battus par la figure paternelle. Partir et fuir le joug la tête haute. Savoir que c'est à moi seule d'opérer ma métmorphose.
Il y a des circonstances qui ne laissent pas le choix. Il y a surtout des choix qu'il est difficile de prendre. J'ai toujours peur de me tromper. Pourtant, aujourd'hui, je décide de tout quitter. Je me dépouille. Je fais craquer la carapace. Je m'en remets au destin. Partir à l'aventure, ne rien oublier, ne pas se retourner, revenir peut-être. Enlever les freins. Foncer. Rebattre les cartes, attendre. Tout liquider. Repartir à zéro. Croire en la magie de la vie et provoquer la chance. Retrouver la maîtrise, survivre en milieu hostile, reprendre confiance en soi, tous mes sens en alerte. Je ne suis pas en terrain connu, je suis seule et nue. J'observe, j'écoute, je m'adapte. Tout me paraît étrange. Je perds mes automatismes, je me réinvente. Je regarde droit devant, au-delà. Qui suis-je maintenant ?
..
Springtime
« Springtime », celui tant attendu. Celui là même, qui, au sortir de l’hiver nous laisse entrevoir le bout du tunnel, tourner les aiguilles, nous impatienter d’une nouvelle lune, d’une grande marée, de giboulées.
Faire peser tous nos espoirs sur ce basculement propre à la chronologie des saisons, pour enfin traverser le temps et vivre, nous conditionne à dépasser coûte que coûte le 21 mars. Date à partir de laquelle nous fantasmons d’être enfin sortis d’affaire...
Oui mais non. Changer de saison a un prix. Cela n’est pas seulement une question de date, de mois, c’est une question d’expérience. Il y a une étape à passer, dépasser l’effet éphéméride. Elle sert à tracer une cartographie. Cette année, la cartographie de l’éphéméride a été celle de l’identité des aimés. On trace des traits.
Pâques aux tisons, la toussaint au printemps a fait se succéder les surprises, toutes du même genre. Genre décès, disparitions, crémations, inhumations, chambres funéraires et mise en bière. Fleurs ou pas fleurs ?
Qui donc peut mourir un 1er avril. C’est Lolo. Maitre en chef de la mythomanie et c’est d’ailleurs pour cela qu’on l’a aimé, pour ses drôleries. Avec lui et en musique, chaque récit menait à Rome avec embarquement immédiat. Cela ne s’invente pas d’être moitié gitan moitié breton avec un papa clown et une maman trapéziste, cela fait rentrer directement dans la mythologie. Le rêve, le voyage à portée de mots.
Arrive le 5 avril, le vendredi, c’est au tour de Paulo. Lui aussi, débranché. C’est une manie. Paulo, eurasien né au Vietnam, celui de l’Indochine, d’une maman vietnamienne et d’un papa allemand militaire de carrière, pupille de l’assistance publique à partir de 8 ans. D’un coup d’un seul, du plus petit au plus grand, de 3 mois à 10 ans, pouf, plus de maison plus de parents, se débrouiller, ramer, puis se retrouver, les cinq enfants, par l’entremise d’un prêtre en Belgique. Il y a comme cela des actions qui pourraient vous métamorphoser croyant pur jus de n’importe quelle obédience.
Pas le temps de respirer, au petit matin du 9 avril, Neï nous quitte. Cérémonie boudhiste le jour même, puis la deuxième, même jour même heure que Paulo. La peine s’est amplifiée, elle s’est approfondie. La douleur nous enferme. Tout le monde a pleuré, longtemps. La flamme qui s’est éteinte nous effondre. Il a attendu son frère, qui n’est pas venu, il a étiré le temps au maximum, tout jusqu’au bout avec l’endurance du sportif qu’il avait été avec l’esprit aiguisé de l’homme qui avait choisi son camp, l’ile aux utopies, ceinturée de dogmes. Un oxymore pour ce petit fils de princesse thaïlandaise et de mandarin, né en territoire khmer sous protectorat. A partir de sa date, chaque feuille de l’éphéméride parlait de son contexte géopolitique, des terres d’exil, une à une, de son destin, celui de sa famille, de ses choix, de la nostalgie de temps révolus. Chaque jour qui a suivi a sauté aux yeux, à l’âme, jusqu’au 30 avril. Totalement explosif. Que faire ? Ne pas bouger ? Rester au mois d’avril, dans cette souffrance ou franchir le pas et refermer l’atlas sur la nouvelle carte des constellations de Lolo, Paulo et Neï ?
On ne meurt qu’une fois, ça n’était pas mon jour, alors sur l’éphéméride humoriste de chez Gibert, j’ai froissé la feuille du 30 et là, je suis tombée sur le 1er mai. Idem, que faire ? C’est férié, fête du travail, j’ai décidé d’arrêter de tracer des traits et de peser les destins, de mes amis, de ma famille. Je ne suis pas dieu et je ne modèle personne et surtout pas à la perfection, ce serait trop injuste et il n’est pas permis d’être injuste ni de répondre à l’injustice par l’injustice.
Et à nouveau, surprise ! étonnement ! L’imprévu s’impose le 2 mai, la cousine de Neï a envoyé un message pour dire qu’ils arrivaient le 3 et voilà, le mouvement est revenu, la vie est réapparue, la vie vivante. Partager, manger, se choyer, s’embrasser.
Enfin le printemps !
..
Elle était peu habituée à questionner l’ordre des choses,
A regarder en arrière, contempler l’œuvre d’une vie pleine et fugace, Entre ombre et lumière, silences et bruissements sourds du monde.
Il lui semblait avoir vécu pleinement jusqu’ici,
Dévorant avec avidité les moindres espaces qui lui étaient offerts, Prenant ce qu’il y avait à prendre sans jamais regretter ses choix.
Pourtant, quelque chose avait changé.
Peut-être l’empreinte du temps, le reflet de son visage dans le miroir.
Ces détails infimes qui donnaient à son existence une coloration particulière.
Elle pressentait depuis peu que son corps ne répondait plus à ses aspirations Que les jours se faisaient plus courts, que le temps s’amenuisait
Emportant avec lui ses souvenirs, la mémoire de ce qu’elle avait été jadis.
Elle n’était déjà plus celle dont la jeunesse l’avait porté vers de multiples horizons Ouvrant tous les champs des possibles, lui offrant le ciel comme une promesse, Les astres pour rêver, les étoiles pour s’évader.
Sans s’épancher plus, sans regrets ni tristesse, métamorphosée,
Débutant un nouveau cycle, comme autre à elle-même,
Elle accueillait comme une amie cette nouvelle aventure qui s’offrait à elle.
..
LA METAMORPHOSE
De petites vagues s'agitent
L’ondoiement à la surface se perd
Un bleu profond happe
Le reflet fragile
D’une enfant perdue dans les méandres de la vie
Le corps et l'esprit rêvent
Un monde aux couleurs infinies
Le miroir se souvient des rivières et tsunamis
Les sillons argentés signent
Une métamorphose perpétuelle
Merci aux Translucides-participants de l'atelier de mai : Mathilde, Jordi, Manon, Gaëlle, Marina, Fouzia, Marion.
.....
les écritures numériques de mars
ATELIER
Floraison
Sous la rose
Une invitation à la floraison de l’écriture ? C’est certain. On peut évoquer pour se mettre un peu en chemin la fleur la plus appréhendée dans notre culture, la rose. La plus ensemencée. La plus offerte. La plus humée dans un geste quotidien. La plus jetée dans un geste quotidien. La plus représentée dans la peinture. La plus citée dans la poésie occidentale. Présente-ardente dans la symbolique littéraire artistique religieuse de maintes cultures et civilisations. Presque la plus forte. Ce n’est botaniquement pas vrai elle fane très vite. Et pas la seule fleur. Bien que le sens dévolu aux fleurs soit aussi passager que le sort des fleurs elles-mêmes, la rose renvoie dans la symbolique à l’idée de mystère, à ce qui ne peut se dire, à ce qui est secret, ce qui est en dessous, cette sub rosa comme le dit l’expression latine.
Vous êtes libre de développer comme vous voulez votre projet, en pensant éventuellement à une approche cyclique de l’écriture, comme la floraison. Allez où vous voulez avec ou sans fleurs, bouquets concrets ou littéraires, mais faites mouvement neuf, faites floraison, éclat, faites venir, même si un obstacle à franchir est nécessaire. Dans les rituels d’initiation sacrés de L’Egypte ou de la Grèce, les futurs initiés portaient des roses durant les rites de révélation.
Avec, Gestes lyriques de Dominique Rabaté (éditions Corti), Les pivoines dans Cahier de verdures de Philippe Jaccottet (éditions Gallimard), le mimosa dans La rage de l'expression de Francis Ponge (éditions Gallimard), et une remémoration précise de la floraison insensée de jacinthes sauvages au bois de Hal.
Fouzia
Chose étrange, elle ne se souvenait pas d’avoir vraiment pris le temps Un jour d’observer ce qui l’entourait.
Pourquoi aujourd’hui ? Elle n’aurait pas su le dire.
Elle savait simplement qu’au plus profond d’elle même,
quelque chose d’inhabituel, un silence,
une senteur peut être, avait attiré son attention Provoquant en elle un vif émoi.
Seule au milieu d’une nature que bien d’autres auraient jugé hostile,
Elle goûtait pour la première fois les prémices d’un printemps naissant.
Des bourgeons annonçant l’éveil à la vie,
D’immenses chênes majestueux l’accueillant,
Le ciel chargé d’effluves mêlant senteurs hivernales et printanières,
Des bourrasques de vent la bousculant, l’entrainant dans « un corps à corps ».
Marchant sur un sentier de terre gorgée de pluie,
Le pas hésitant, les bras levés, en équilibre précaire,
Elle sentit ses pieds s’enfoncer dans le sol boueux,
Lui donnant l’impression étrange de prendre racine,
De se déployer à l’infini comme le soleil déploie ses rayons.
Silencieuse, comme autre à soi-même,
Savourant la puissance créatrice de l’univers,
Le souffle du ciel sur son visage,
Ne faisant plus qu’un avec le cosmos,
Elle avait enfin le sentiment d’avoir trouvé sa place Loin des tumultes superficiels du monde.
Gaëlle
Chèvrefeuille, Chèvrefeuille
Un jour, j'ai entendu mon père dire qu'il aimait le Chèvrefeuille. Alors j'ai aimé le Chèvrefeuille.
Oui, aimons les fleurs, et la vie sera plus belle.
Et puis s'en est suivi le doute.
Chèvrefeuille, je t'observe en silence depuis ce jour.
Tu parsèmes ma vie de tes petites pousses sauvages et familières. Je regarde tes tiges s'entremêler, vivaces.
Tu me guides dans ton parcours sinueux qui repousse les frontières. J'envie ta force, j'aspire ta sève et je m'agrandis.
Tu m'accompagnes tout au long du chemin, tapi en ambuscade. J'arpente la ligne de tes combats tenaces.
Tu es l'entité trouble de mes tourments, douleur de croissance.
Je guette tes fleurs timides, blanches et odorantes.
Ton audace me surprend, ton courage m'attire.
Je lutte entrelacée dans tes bras solides et fins.
Je respire tes petites cornes discrètes.
Tu es le sentiment.
Manon
Fleur
Fleur fleurie floraison florissante
Pourquoi la fleur fleurie fascine-t-elle tant ?
Force est de faire fi des fâchés qui ne voient dans la fleur que fantaisie.
Fugace, parfois fantasque, souvent fine, parfumée - quoi qu’on fasse - elle finit fanée. Finalement, la fleur, on en fait tout un foin parce qu’elle fleu-rit-fleu-rit-fleu-rit. Tout le monde est ravi.
Elle occupe les esprits, petite vanité, car en peu de temps elle vit, meurt, vit, meurt, vit. C’est rassurant.
C’est angoissant.
C’est fatiguant.
Sauf pour les sages, qui observent l’éphémère beauté de la vie. Mais je n’en suis Pas.
Pas si flore.
Non, décidément, je suis plutôt du côté de la pensée sauvage.
Celle qui pousse loin des sentiers battus. Qui ne se laisse pas cueillir.
Mais penser la pensée ? Pourquoi ?
Pour pouvoir poser sur la vie plus de poids ?
Pour le plaisir de partager un bouquet d’idées emmêlées ? A peine coupées,
Déjà fanées ?
Mathilde
Tes plis encapsulés froissés dans la main moite et inconnue
du Temps
Tu y caches
les pièces invisibles et démontées
de ton corps
Dispose-toi
comme tu t’entends
la fleur a raison
pour plusieurs vies encore
Déjà on te regarde
mâle femelle
simple ou ombelle
Tout est faux Tu es flux
Tu n’envisages
ni fleurs ni couronnes
et bâti en origami
le motif dessiné sous ta peau d’hiver
Soizick
Fleurs tout en contraste
Horreur !
Les roses des étals des fleuristes,
Ces roses multipliées dans des usines horticoles, Soldats au garde à vous,
Parqués par couleur dans des potiches sans âme. Ces bouquets, symbole d’amour,
Perdent leur splendeur,
Sitôt l’emballage déchiré.
Le lendemain,
Les boutons font grise mine, piquent du nez, Sans diffuser le moindre parfum.
Les pétales se ternissent, se froissent
Sans ouvrir leur corolle.
Puis meurent en silence.
Merveille !
Les roses d’un jardinier amoureux.
Les boutons s’épanouissent en légèreté, Boivent la rosée de l’aube,
Se réchauffent sous les rayons du soleil. Les pétales dansent sous la brise, Exhalent des suaves fragrances subtiles. Les roses singulières du jardin, Sourient à leur mystérieux destin.
Avec bonheur,
Elles s’éveillent à la vie.
Souffle de liberté !
Les coquelicots, l’été,
Envahissent, les champs de blé.
Rouge sang, vie d’amour,
Rouge sang, liberté des résistants,
Rouge sang des femmes en attente d’enfantement.
Les coquelicots règnent aussi sur les bords des chemins S’installent dans les interstices des pierres de lave, Rouge et noir.
Les coquelicots ne se cueillent pas,
Ils s’étiolent dans nos mains.
Libres, ils apprivoisent le vent,
Sourient à la vie,
Éblouissent les yeux.
les écritures numériques de janvier
ATELIER
Une expérience citriforme
un récit de Valérie Mréjen, l'Agrume ↓
https://www.editions-allia.com/fr/livre/375/agrume-l
pirater un texte d’autrice-artiste
écrire un récit personnel en lieu et place des morceaux de textes rendus volontairement absents
estomper les frontières
offrir un texte à nouveau en chemin
que le récit puisse reprendre et continuer à surprendre
...........
2023 /
les écritures numériques de décembre
L'ATELIER FURTIF
une écriture collective qui avance en collectant
texte composé à dix mains
J'ai réfléchi à tous les événements de ma vie et entendu les battements de mon coeur pour la première fois. Au cours de cette matinée j'ai eu des rêveries d'amour et de rire, allant jusqu'à créer l'image de Duane et de mon père qui remontaient le ravin à cheval vers moi. Mais surtout, j'ai sombré dans une très longue période d'absence infiniment reposante, où j'avais l'étrange sensation de comprendre la terre.
Bouleversée, cette étrange intuition m’invite à rester là. Abandonnée à l’ombre d’un cèdre majestueux, tout mon être dans sa soif d’apprendre, se dilue d’avantage au creux de ses racines puissantes. Comme dans un ventre, lovée, je me laisse envahir par l’odeur boisée de l’humus. Elle me pénètre. Mes bras, mes jambes s’identifient peu à peu à ses racines comme à des lianes. Je me perds un peu plus dans cette douce confusion et mon esprit fait corps avec l’esprit du cèdre. Mille ans qu’il murmure sa connaissance dans les plis de ses rides.
Un chant me parvient. Une vibration grave et enveloppante pareil au son d’un didgeridoo, chatouille mes os. C’est plus fort que moi, mon sacrum se meut et m’entraine dans une danse chaloupée. Une voix souffle des mots imperceptibles à mon visage, comme une caresse. Cette voix, je la connais, elle a l’accent du Liban. Elle s’élève. Mon cœur s’emballe. C’est celle de mon père. Il chante : Va ! vole et va vers toi-même. Et surtout pardonne moi, car je ne suis pas ton père. Va ! vole et va vers toi-même. Je t’aime, et je t’aimerai toujours.
C’est un ciel d’hiver. Il y a le soleil qui se reflète contre la commode. Les rideaux lourds qui tombent sur le sol. Dehors c’est froid mais bleu.
Bleu. Comme ton regard que j’ai connu il y a un an. Tes yeux qui me voient tous les jours et qui seront dans les miens pour toujours. Tes yeux rieurs qui remplacent ton sourire qui n’a pas encore de dents.
Je me souviens du ciel ce jour-là, mais je ne me souviens pas de la vie sans toi.
C’est une nuit d’été. Fraîche. Etoilée. Je suis rapide. Je suis cheval. Rien ne peut stopper ma course folle, j’évite tout obstacle, j’anticipe les anfractuosités. J’ai conscience de ma puissance. Je découvre cette forêt pour la première fois, à chaque seconde, à chaque foulée. Pourtant je la connais. Ici, prendre à gauche, en rasant le buisson de Cades Là, cette branche trop basse que j’avais devinée. La voie se trace sur mon passage et pourtant mon regard n’en discerne pas la fin. C’est moi qui l’invente, elle nait de ma pensée. Je suis forêt. Je suis brise, arbres, humus, insectes et mammifères. Je perçois le moindre bruissement de feuille et cette fourmi rouge qui glisse sur ma crinière. Un don d’ubiquité me révèle à moi-même. Je m’observe et m’attends quelque part. A l’est la fraîcheur d’une rivière chantante m’appelle : c’est moi-même. Au sud c’est la plaine, je m’entends arriver. Les sens décuplés, je trace, au triple galop, et la terre tremble sur mon passage. Dans la seconde suivante, je suis un souvenir.
Dans le silence des endormi.e.s, je t’entends.
Bruit qui ne m’est pas inconnu, il y a quelques années que je l’ai rencontré. Mais là je le ressens bien plus qu’autrefois, je l’entends bien plus fort, il prend d’ailleurs toute la place dans mon crâne et je n’entends plus que ça.
C’est comme des lames infiniment longues que l’on vient planter dans mon cœur, dans mes veines, dans mes tripes.
Dans le silence des endormi.e.s, je t’entends, gémir de douleur et je souffre avec toi.
Je fais très attention à ne pas éveiller de soupçon, d’inquiétude. Dans le noir, je plaque mes deux mains sur ma bouche afin qu’il n’en sorte aucun son, aucun cri de lame, aucun glissement de larmes.
Je sais que tu as peur, je sais que tu pleures.
Tu sais que je pleurs, tu sais que j’ai peurs. Mais il ne faut pas se le dire, nos yeux en parlent déjà trop.
Cauchemar s’invite dans mes nuits.
Colère s’installe dans mes veines.
Je sais que la vie est faite ainsi, on naît on vit on meurt. Mais ce crabe là ne vient pas de la vie, ni de la terre. Il est partout dans ce qu’on mange, ce qu’on boit, ce qu’on respire et il prépare sa destruction sans faire de bruits.
Ni toi, ni moi ne sommes à l’origine de sa création. C’est le bulldozer semeur de guerre, qui détruit toute forme de vie sur son passage, qui se nourrit d’absolument tout pour s’engraisser de plus en plus. Entretenir sa croissance infinie.
Lui, c’est l’assassin qui va t’arracher de mes bras.
Ce voleur de vie t’empêchera de me voir devenir mère, à cause de lui tu ne connaîtras pas mes futurs enfants, tu ne me verras pas devenir la chanteuse dont je voulais que tu sois fière, tu ne me verras pas fêter mon union avec la personne que j’aime.
Je ne te verrai pas vieillir, je ne pourrai pas prendre soin de toi dans ce lieu que je rêve de créer, je ne pourrai pas te parler des combats que je perdrai, ni de ceux que je gagnerai.
Au travers de tout ce tumulte, tes seuls mots sont ceux de la joie, de la vie qu’on prend par la taille, de la paresse à chérir.
Je te promets de faire honneur à tes croyances et je m’en rappellerai face à chaque obstacle que je rencontrerai.
Il me reste un espoir, car le plus Fort, c’est Mon Père.
Les écritures numériques, l’atelier furtif, avec les stagiaires de la formation " Entreprenariat culturel et créatif ", Illusion et Macadam, La Halle Tropisme à Montpellier, décembre 2023.
Merci à Jim Harrison pour les six premières lignes de ce texte, extraites de " Dalva ", traduction Brice Matthieussent, Christian Bourgois éditeur.
Merci à Sofia, Chloé, Julie, Charlotte-Carlotta pour leur participation.
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les écritures numériques de novembre
ATELIER
Le visage
On s’attachera à provoquer une pensée, un trouble, qui sera singulier à chacune à chacun, autour des visages, leur force de présence, la gêne qu’ils peuvent susciter. Le visage provoque d’intenses émotions, d’indéchiffrables projections, étrangeté et désir. Il est incessante métamorphose, il est une donnée pourtant, comment la capturer dans une représentation littéraire ? Quelle forme accueille le mieux la complexité du rapport à un visage, les effets de présence ou d’effacement qu’elle pourrait produire ?
Le projet de l’atelier est de disperser cette pensée, tout au long de votre projet d’écriture, de faire que s’écrivent des récits, des fragments, des poèmes, des histoires, autour du visage, qui perpétuellement fuit qui perpétuellement luit…
Atelier sous influence : Marguerite Duras, Violette Leduc, Emmanuel Levinas, le visage de Nathalie Sarraute, portrait de jeune fille de Petrus Christus vers 1470.
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Christophe Un instant d’éternité
Je me souviens de tes yeux noirs aux longs cils, si noirs Que l’on y plonge sans jamais y voir le fond,
Puits de ton âme,
Des étendues infinies des espérances,
Aspiré, des profondeurs Abyssales.
Tes yeux en amande, toujours rieurs, la joie, transcendantale,
Ton nez de statue grecque, élégance et équilibre parfait de ton visage
Tes cheveux bouclés, très courts, très noirs, aussi noirs que tes yeux
Encadrent ta peau couleur crème, lisse, élastique, le contraste est saisissant, humm, Je te dévore.
L’éclat de ton visage, sage.
Tes lèvres roses, fines et sensuelles,
Ta bouche au sourire ravageur,
Et cette fossette, cette petite fossette au milieu du menton
Comme une virgule, intrépide, marque spéciale et unique, je l’aime.
Charme naturel, finesse de tes traits,
L’ovale de ton visage des contours harmonieux,
Ton long coup perché avec grâce,
Le regard doux comme le velours,
Inondé de tendresse et d’amour
Tu étincelles, ton sourire, magnifique,
Ton visage mutin s’excite à ma vue,
Effet miroir,
Joie extatique en cet instant matinal
Tu es là, sous le porche du lycée, baladeur* à la main,
Tu m’attends,
Tu apposes les écouteurs de mousse de couleur orange sur ma tête,
Tes doigt affleurent mes cheveux, je frissonne.
Tu as enregistré ce matin même, à la radio, le nouveau titre de notre artiste préférée, Live to tell**,
Expression de ton triomphe, large sourire, ton visage jubile, nous aimons,
Instant éternel de tes yeux étincelants, nos regards se croisent, joie partagée,
Je peux sentir le goût de toi, l’air brûlant de tes lèvres entrouvertes,
Les sens éveillés,
Gravés des impressions mémorielles,
Nos sentiments confus et confondus,
Ce visage de l’amour-amitié, adolescent(e)s,
Comme les visages de mes amant(e)s futur(e)s te ressemblent ! La dernière sonnerie de l’entrée des cours retentit,
Instant d’éternité, visages de nos jeunesses éternelles.
* aussi appelé walkman dès le milieu des années 1980
** Lien CLIP / Live to tell →
Fouzia
Aussi longtemps que je puisse me souvenir,
J'ai souvent entendu dire des autres qu'il me trouvait laide.
Quelque chose en moi dérangeait, provoquait un sentiment de répulsion.
Pourtant, à me regarder aujourd'hui dans le miroir,
Je cherche encore, en vain ce qui aurait pu déclencher cette aversion.
Un long nez hérité de mon père, souvent qualifié de toboggan, permettait de planter le décor.
Des cheveux châtain, broussailleux, indisciplinés, me donnait un air étrange, voire inquiétant.
Une petite bouche fine et m'avait-on dit inexpressive, suffisait à clore le débat.
J'étais laide un point c'est tout et dieu l'avait décidé ainsi.
Pourtant, malgré le poids engendré par les remarques blessantes et douteuses, Ce visage longtemps vécu comme un poids,
Je refusais pourtant de l'abandonner aux autres,
De laisser ces ombres inconnues se l'approprier, me qualifier.
Après tout, bon gré, mal gré, je ne passais pas inaperçue,
Je sortais du lot, j'étais remarquée sans doute pas pour les raisons que j'espérais. Il n'était pas donné à tout le monde qu'on se retourne sur soi.
Après un temps, je ne saurais dire combien,
Ce visage, je cessais de le combattre.
La vie sans doute, l'expérience ayant fait son œuvre,
Et je ne sais par quelle magie, des créatures sorties de mon imagination
Prirent forme sur le papier ; comiques, inattendues, monstrueuses parfois.
Ces visages, ces corps, j'en fis d'une certaine manière,
Une réponse inattendue, le support de créations mythiques, prenant mille formes improbables.
Par ce médium, ce visage qui m'avait tant échappé, redevint le mien.
Manon
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Visage
PEUT-ON LIRE DANS UN VISAGE COMME DANS UN LIVRE OUVERT ?
Rides larges au front, très fines en haut du nez, la joue rose, souple.
La concentration, totale.
Son turban, bien serré sur les oreilles, et douce la peau de renard qui la coiffe.
Le manteau en velours bleu nuit, la fourrure -encore-, le discret bijoux juste sous le col blanc sur lequel on devine des points brodés qui soulignent la courbe du menton. Bref, oui les joues roses bien sûr pour une femme pareillement emmitouflée.
Le regard semble perdu dans l’observation de l’illustration, page de gauche. Intrigantes ces silhouettes.
C’est vrai qu’on distingue mal.
Mais où sont mes lunettes ? (se dit-elle ou me dis-je?)
Je n’en n’ai pas. (se dit-elle et me dis-je)
PEUT-ON LIRE DANS UN LIVRE COMME DANS UN VISAGE OUVERT ?
On peut sans doute y deviner des histoires qui laissent des traces, Y déchiffrer des vides qui en disent long,
Des désordres organisés qui révèlent.
Ces histoires intemporelles traversent nos vi[es]sages. Universelles elles racontent tout et rien, tous et chacun.
Je serre ma main sur le papier
Mon regard ne parvient pas à s’y dérober, Est-ce le poids du livre ou celui des années Qui ne me permet pas de déchiffrer
Le visage familier dont le livre m’offre le reflet Un miroir sans doute eut-il eut plus d’effet Mais c’est alors un dialogue plus limité...
Va visage sans âge et vis !
Marion
C’est à travers son visage que j’espérais trouver la paix,
C’est à travers son visage que j’ai cherché des réponses,
C’est à travers son visage que j’ai goûté sa souffrance,
C’est à travers son visage que j’ai vu les premiers plis,
C’est à travers son visage que j’ai vu ses soucis,
C’est à travers son visage que j’ai cherché ses sourires,
C’est à travers son visage que j’ai vu ses nombreux rires,
C’est à travers son visage que j’ai vu sa colère,
C’est à travers son visage que j’ai perdu tout repère,
C’est à travers son visage que j’ai vu la tristesse,
C’est à travers son visage que j’ai vu toute sa tendresse,
C’est à travers son visage que j’ai vu tant de joie aussi,
Ephémère est la vie et en elle, on s’oublie.
Mathilde
Je choisis dans la foule les pièces du puzzle perdu.
Commencer par trouver la pierre taillée dans l’eau de la rivière.
Elle délimite ton visage pour celui qui veut l’esquisser et le faire tourner vers la lumière.
Sur cette pierre, j’applique le soie pâle et veinurée de ta peau. Je me retiens d’y cacher un mot secret.
Je vole à la femme sur le banc, ses pieds dansent sans bouger je lui vole la fine ouverture de ta bouche
un espace suffisant
pour bientôt t’exclamer
“je ne changerais rien”
Je dépose sur tes lèvres prêtes à rire, la couleur effacée d’une langue mordue toute ton enfance.
Je prends à l’homme adossé au mur blanc, le nez pointu et fâché. On l’oublie vite quand on pose sa tête sur ta poitrine.
Il n’y a qu’une personne sur ce morceau de terre pour déposer sur le lobe de chacune de tes oreilles, la petite bille souple sous les doigts. Elle habite le grenier avec ce bijou, prends ces boucles encore une fois.
Je demande aux geais perdus dans la ville – ou bien connaissent-ils notre dessein ? - de retirer un cheveu blanc
un cheveu gris
un cheveu noir
aux chevelures qui passent là.
Je tresse et entremêle les brins offerts. Je ramène à toi les cheveux tombés en poignée sur un oreiller cercueil.
Massive couronne posée pour cacher ou dévoiler ton visage une dernière fois : ce sera mardi ou samedi ?
Bien sûr tes paupières sont fermées maintenant. Et avec mes yeux noirs je te suis jusqu’à la rivière où on se lâche la main sans mettre fin à ce vis-à-vis de ton visage dans les visages.
les écritures numériques de septembre
ATELIER
Marcher à côté de Gary Snyder, " le bruit sourd qu'invente le pied "
Dans le pas de Gary Snyder ou celui d’Aldo Leopold, le monde cesse d'être saisi dans un discours ordonnateur, de maitrise de supériorité, il est au contraire envisagé comme un grand tout subtil, mouvant, dans lequel tous les éléments le constituant sont interdépendants sans postulation d’une quelconque hiérarchie. L’homme est dans le monde, il n’en est point le centre, il en fait partie au même titre que tout le vivant et le non vivant, il est rythme particulier parmi tous les autres rythmes particuliers, il est premièrement présence immanente, il doit être attentif à ce sur quoi il bute, le son qu’il produit…
CECI ENCORE
PARTIR MARCHER DANS LA NATURE
DANS LA PROFONDEUR D’UN LIEU NATUREL
S’ELOIGNER SUFFISAMMENT
VOUS POUVEZ ALLER MARCHER
SOLITAIREMENT
EN GROUPE
EN GRAPPE
A LA FILE INDIENNE
VOUS ETES UN ELEMENT DE L’ENSEMBLE
GRANDE ATTENTION
AUX DETAILS
AUX MOUVEMENTS
MÊME INFIMES
AUX SENSATIONS
AUX SONS
AUX ODEURS AUTOUR DE VOUS
OCCUPANT L’ESPACE
SURGISSANT TRES BRIEVEMENT
PENSER QUE LES ODEURS AIDENT A S’ORIENTER
A SE SOUVENIR
TRADUIRE L’EXPERIENCE APRES COUP
SELON VOTRE DESIR D’ECRITURE
SI VOUS N’ALLEZ PAS MARCHER
ENVISAGEZ NEANMOINS
LE PAS LEGER DU LIEVRE QUI NE LAISSE PAS D’EMPREINTES SUR L’HUMUS DE LA FORET
ET QUI POURTANT EST TOTALEMENT PRESENT
2022 /
atelier d'écriture à distance de février
"souffler de son souffle"
Clarice Lispector dialogue avec un personnage-miroir auquel elle a insufflé un pur souffle de vie, l’artiste Guiseppe Penone lui dialogue, ou plutôt fait corps avec la nature, et y déroule une pratique poétique faite d’analogies et d’imprégnations «Respirer son ombre, c’est une feuille, couverte de cire, c’est introduire l’obscurité dans la nuit rythmique du corps comme le bronze fluide»
atelier d'écriture à distance d'avril
" Ecrire l’éphémère "
Considérons la notion d’éphémère, notion de temps, flux, durée passante, en tout cas fulgurance. Entre son moment ponctuel et son arrivée jaillissante, peut-on mesurer s’emparer de quelque chose de son présent ? Peut-on éprouver sa fluidité, son éclat momentané, sa teneur ?
atelier d'écriture à distance d'été
"Je t'enverrai une carte postale "
Entre image absolue et objet ordinaire de consommation de masse, la carte postale véhicule quelque chose d’imposé, de surjoué, mais aussi un instant fragile de basculement : tout ce qui se compose et se décompose en soi quand on découvre un nouvel endroit. Investissons dans l’atelier d’été cet espace temps ambiguë de la carte postale, souvent écrite à plusieurs mains, à la va vite ou très réfléchie, envoyée pour faire plaisir rassurer impressionner, surprendre...
Faisons société : écrivons et envoyons des cartes postales.
atelier d'écriture à distance d’octobre
L’atelier noir d’Annie Ernaux, livre de réflexions, entre les projets, brouillards, et désirs de l’avant-écriture + lancinante présence de De sang-froid de Truman Capote, pour tenter de cerner une limite, « Peur de quoi ? Quand ton heure arrive, elle arrive. Et les larmes te sauveront pas (…) N’oublie pas : si un oiseau transportait chaque grain de sable, grain à grain, de l’autre côté de l’océan, quand il aurait tout amené de l’autre côté, ce ne serait que le début de l’éternité. Alors, essuie-toi le nez ». Evoquons aussi la présence seigneuriale du Corbeau de Poe, exprimant nettement un : "jamais plus."
Manon
Du côté obscur
Le regard brouillé de larmes
L’âme noircie d’amertume
L’ombre de soi-même étend son emprise
Le fantôme prend corps, sa voix murmure encore Insaisissable, enchaîné, son boulet cogne pour le rassurer
C’est le côté obscur de la force
La page blanche offre un brouillon pour Écrire le brouillard et sa partielle dissolution Une éclaircie
Un espace-temps de lumineuse mélancolie Translucide, elle estompe la réalité
Viens, bascule de notre côté
Une obscure clarté Des étoiles est tombée
Emmanuelle
Noir Limite
Dans la nuit, alors que ma mâchoire se fait paresseuse, empâtée par les bulles qui ne sont plus légères, j'essaye de me souvenir.
Noir intense ? non, ça fait trop chocolat ! Noir absolu ?... entre café et chocolat...
La nuit est expansive, je n’en vois plus les contours.
Ce matin, à mon éveil, j'essaye de me souvenir ; et là, tout me revient !
Vendredi 13h04, le bout de discussion avec Charlotte, les bottes en cuir du Queer.
Samedi 11h44, « la petite robe blanche » qui trône au milieu de la valise.
Dimanche 03h12, la discussion avec Christophe, ses mains dans le cambouis, le bleu de travail.
Et je crée le lien, se tisse l'histoire comme on développe une photo : les ombres laissent apparaître la clarté de ma pensée.
Un mécano s'allonge chaque jour sur et sous. Le chariot de visite, le berceau. Son dos est strié, scarifié par ces heures.
Ses ongles sont noirs, profondément.
Son corps est huilé, sous plusieurs couches d'épiderme.
Mais il rêve le mécano, il rêve, comme j'essaye de me souvenir.
Un long strip-tease où les peaux se dérobent, se dénudent les mémoires, s’effacent les bleus, s’oublie les tatouages malavisés.
L'aigle déploie ses ailes sur toute la ceinture scapulaire. Aujourd'hui, il préférerait une hirondelle.
Dans le silence étourdissant de son atelier, le mécano rêve, comme j'essaye de me souvenir :
de bas résille, de peau de croco, sobre et élégant, le satin, le velours ; pas de strass et paillettes, pas de peau de panthère de mauvais goût.
Ses ongles sont noirs, longs et élancés comme lui. Son corps est agile.
Dans une fluidité de mouvements, une économie de gestes, il passe de la station verticale à l'horizontal. C'est son taf.
Il se glisse, c'est facile, c'est véloce.
Il connaît si bien le chemin, dans ce va-et-vient entre le haut et le bas, qu’il a la grâce du volatile ou du reptile.
C'est ce que lui susurre son ami Pierre, lorsqu'il est subjugué, derrière son objectif.
Le clair-obscur habille son corps aux lignes pures.
Il se glisse, c'est facile, dans les détonations répétitives qu’émet l'appareil, comme autant de paroles murmurées, de mots irrévérencieux.
Pierre connaît Jonone. Le mois prochain ils exposeront ensemble. Les clichés seront tirés en grand format, pour l'exubérance.
L'expo s'intitulera, « Where there is the Lightness ».
Jen
L’oiseau sait
L’oiseau présage dépose des larmes sur joue il annonce la suite il en coûte à celui qui attend le brillant nul besoin de protection l’oiseau sait il apprend le silence des lieux communs il prêche le corps embourbé les mains sales laisse des traces sillons bleu à bras meurtris les rayons grignotent la vitalité puisent le noir la résistante au vent gout sacré sur le front l’enfance au loin malaxe ses ailes fluides puis le bruit reflue immaculé il suffit de trouer la peur épuiser la rage revenir à la flottaison l’oiseau capture ton âme pour la dorloter laisse toi secourir
atelier d'écriture à distance de décembre
Comprendre et entendre un texte est-ce la même chose ? En conscience dans cet atelier : l’espace sonore d’un texte, l’accueillir l’entendre le laisser flotter faire voix, Penser avec les oreilles propose François Noudelman, Valère Novarina et Antonin Artaud s’entendent pour rendre voix à l’homme, phonie des mots, liturgie de la langue, résistance à la fonction instrumentale et mécanique du langage, se mettre en état d'accéder au sens contenu dans la musicalité des mots, est-ce la voie de la 3ème oreille, est-ce ZAOUM ?
2021 /
textes d'atelier
Christophe
Un oiseau m’a dit
L’oiseau L’oiseau L’oiseau L’oiseau
L’oiseau L’oiseau L’oiseau L’oiseau
L’oiseau
Je plane
Dans la marre, dans la flaque
Sur mon perchoir, dans ma cage
Dans les airs, dans le ciel, sur la mer Ballets majestueux, douces mélodies Transcendantal Univers
Ouvre la cage, libre des grands espaces Des arbres, écoute les sons
Regarde les couleurs
Nature
Imprègne-toi, Être sensible
L’éternité
L’oiseau air L’oiseau terre L’oiseau mer L’oiseau feu
rit pleure vie meurt
chante danse
de plume de plomb
vole
L’oiseau Mythe, Extatique Esthétique Erotique
L’oiseau DO, L’oiseau RE, L’oiseau MI, L’oiseau FA, L’oiseau SOL, L’oiseau LA, L’oiseau SI, L’oiseau DO,
L’oiseau Do-cil
L’oiseau RE-cit
L’oiseau MI-rador
L’oiseau FA-te ignoranti
L’oiseau SOL-aire
L’oiseau LA-titude
L’oiseau SI-donie
L’oiseau DO-pamine
Décroit, Êtres déjà Morts Vivants, Les oiseaux meurent,
Je demeure...encore un peu,
Mélody Nelson, aimable petit(e) con(ne)*quand reviendra-t-iel ?
Ecriture inclusive (humour).
Jen
Etais-je cette petite fille ? Elle voltige
l’élan se perd-il ?
Elle s’enfonce dans le silence. Peut-être suis-je sa mère ?
Je ne l’entends pas suffisamment
un écho rebondit entre mes doigts
Ai-je engendré une éponge ?
Elle boit mes rages
ses pleurs sont les miens
tassées par un corps
les roses s’évanouissent
Est-ce que les arbres frissonnent ?
Tu aimerais t’installer au sommet
ils penseront que tu veux en finir
tant pis
la petite fille a des grelots derrière les dents
sa bouche souffle sur tes larmes
ne sois pas apathique
il existe un endroit froid où la noirceur tourne en rond puis s'échappe il suffit de tendre l’œil
peint en bleu
il attend
Qu’espères-tu ?
Cristina
Jeune fille au printemps.
Le va et vient de la balançoire Ce bruit lancinant et régulier. La brise dans ses cheveux.
Et elle se plaisait à sentir l’éveil de la nature. Ce printemps aux odeurs enivrantes,
Cette saison sacrée,
qui ranime à la fois les oiseaux et les fleurs.
Ce vert pré, ce vert tendre,
Cette verdure éternelle jeunesse,
Et qui reverdira encore.
Le printemps fleurissait, parfumait.
Cet éveil de la nature qui revient Qui ranime à la fois,
les oiseaux et les fleurs.
Elle voudrait parler.
Évoquer des mots aimables ;
Comme des jours de printemps.
Mais elle est seule ;
Dans cette douceur exquise qui l’enivre.
Cette solitude est pour elle : un épanouissement.
Cette verdure la fige
Et la rassure à la fois.
La rosée de cette matinée
la plonge dans des souvenirs, Son esprit est confus,
Ces parfums l’envoûtent.
Fouzia
Un silence s’installe.
Un monde infini s’ouvre à moi.
J’observe, fascinée, les bruissements éloignés de la ville
Parcourir mon corps abandonné à la nuit.
Des rêves inattendus s’invitent à la lisière de ma conscience.
Pourtant, les portes des songes se refusent à leurs désirs.
Insistants, ils parviennent à moi comme des oiseaux de nuit perdus.
Invités de la dernière heure, je les accueille comme de vieux compagnons de route
Un long dialogue intérieur s’instaure alors conférant à cette nuit particulière,
un sentiment d’étrange étrangeté.
De ce long voyage où je m’éveille autre à moi-même,
Seules des émotions diffuses témoignent de cette parenthèse nocturne enchantée.
Colette
L’ENVOL
En venant au monde, un beau matin de printemps quand les fleurs de cerisiers embaument l’air et attirent les papillons avides, Mademoiselle Li avait poussé une sorte de roucoulement tout à fait inattendu. Sa mère, surprise, avait songé que c’était sûrement l’émotion de cette naissance qui l’avait trompée. Pourtant dans son berceau la petite fille gazouillait d’une étrange façon surtout lorsqu’elle passait de longues heures sous les saules-pleureurs et les érables du jardin. Les arbres qui s’élevaient au milieu des pivoines et des cerisiers nains étaient peuplés de mésanges, de rossignols, et de chardonnerets qui s’égosillaient dès l’aube pour annoncer la venue du jour et berçaient quelquefois ses nuits. L’enfant avait très vite imité leur chant, comme si elle cherchait à partager avec eux un langage secret. Les oiseaux répondaient et leurs trilles se mêlaient aux inflexions de la voix de Mademoiselle Li. Très vite elle avait montré un attrait tout particulier pour le chant du rossignol.
Au début les parents s’en amusèrent puis ils commencèrent à éprouver une légère inquiétude car ils croyaient entendre des rapsodies et des chants d’exil avec la désagréable impression que l’enfant leur échappait. Puis les babillages et les mots remplacèrent les sons étranges, Mademoiselle Li grandissait, ne roucoulait plus. Elle chantait des comptines de son âge, sa voix s’était arrondie tout en conservant des modulations surprenantes. Ses parents pensèrent alors qu’il était temps de lui trouver un maître pour lui enseigner la discipline et la maîtrise du chant.
C’était une élève sage, obéissante, qui se pliait aux exigeantes répétitions mais lorsque l’heure de la pause arrivait elle s’approchait de la fenêtre pour observer les arbres de la cour et son regard mélancolique laissait alors deviner une imperceptible blessure. Les années passant, Mademoiselle Li était devenue une adolescente réservée, toujours très appliquée, cependant depuis peu sa voix s’était modifiée et les parents convoqués par le maître avaient dû se rendre à l’évidence : leur fille roucoulait de nouveau en levant les yeux vers le ciel.
Mademoiselle Li avait alors déclaré qu’elle ne viendrait plus au cours, qu’elle voulait chanter comme un rossignol et qu’elle désirait cet oiseau près d’elle jour et nuit.
Elle affichait une telle détermination que sa mère courut chez l’oiseleur du quartier pour lui trouver le spécimen rare, l’oiseau au chant mélodieux, celui des contes pour enfants qui avait su charmer l’empereur. La vie de la maison prit un autre rythme, il fallait se plier aux exigences de l’adolescente, l’oiseau était sollicité le matin, au retour de l’école, pendant le repas et tard le soir. Au début il défiait Mademoiselle Li, tout fier de couvrir les bruits du quartier, les aboiements du chien du voisin, les miaulements aigus du chat devant une proie inaccessible. Mais la petite élève l’avait vite rattrapé et il avait beau gonfler ses plumes, se percher de plus en plus haut sur sa minuscule balançoire, il sentait bien que le défi était trop grand pour lui.
Les jours passaient ainsi et Mademoiselle Li se réjouissait d’imposer à l’oiseau des modulations qu’épuisé, il ne pouvait plus comprendre et son chant se nuança peu à peu d’imperceptibles plaintes.
Ce matin là, Mademoiselle Li se leva de bonne heure, quelque chose la dérangea, elle était sûre d’avoir fermé la fenêtre avant de se coucher. Contrariée elle se dirigea vers la cage placée sur la commode en face de son lit, en souleva le voile qui la couvrait la nuit. Alors elle vit la petite porte ouverte, la cage était vide.
Elle voulu crier, en vain. Aucun son ne devait plus jamais sortir de sa gorge.
Corinne
Le livre d’images
Marie regardait son livre d’images. Elle ne pouvait pas lire encore les signes qui, bizarres, décoraient les dessins.
Dans son livre d’images, il y avait la plage, le jardin, la forêt et le prestige.
Il y avait donc du sable, des petites vagues, des petits pieds dans l’eau, des petits seaux, et de grands rires.
Il y avait aussi des pommes, des châtaignes, de grands arbres, des ombres et des feuilles rouges qui craquaient.
Il y avait aussi de l’herbe, des buissons, des tulipes et le vent qui sifflait sur le toit .
Et il y avait le faiseur de prestige, les chandeliers, les grosses cuillères en argent, les énormes assiettes en porcelaine, les immenses gâteaux et l’opéra.
Marie entendait tous les sons, sentait tous les parfums. Imaginez et goûtez.
Ne dites rien, écrivez.
Sandrine
Maman est dans la maison. Je sais qu’elle attend Papa et qu’elle veut être debout quand il arrivera. Moi aussi je l’attends. Sur la balançoire qu’il a installée pour moi et sur laquelle je me plais tant. J’aime me sentir suspendue, j’adore la sensation, l’impression d’être comme un oiseau et de voler. Le meilleur moment, c’est quand Papa pousse doucement derrière moi et que je m’élance de plus en plus haut. J’a-dore. Grand-mère dit que je tiens ça de Papa, que si j’aime tant ma balançoire, c’est que j’ai ça dans le sang, comme Papa qui emmène le courrier avec son avion. Moi je pense que tout le monde aime ça et que le sang n’a rien à voir là-dedans, comme pour la brioche de Maman. Mais je le dis pas à grand-mère car je sens bien que ça lui fait plaisir de penser ça. Et moi, ça me dérange pas donc je la laisse dire. Et puis, j’ai ma raison secrète aussi d’aimer ça et si je lui disais, elle serait triste d’un coup alors je dis rien.
Maman reste debout, pourtant elle est fatiguée, je vois bien. Elle est toute ralentie. Des fois, on dirait qu’elle sait plus où elle est. Hier, elle s’est assise dans la cuisine et elle regardait le robinet. Enfin c’est ce que je croyais au début car ça a duré tellement longtemps que je crois que c’est pas le robinet qu’elle regardait. Elle regardait ses souvenirs dans sa tête. Papa dit qu’il faut qu’elle arrête d’y penser, que ça le fera pas revenir. Mais il se rend pas compte. C’est ce que dit Maman doucement. Moi aussi je voudrais qu’il revienne en vrai parce que je voudrais qu’il me chatouille encore, qu’il me donne la main pour aller à l’école, qu’il me raconte les blagues de son livre à histoires en guettant le moment où je vais rigoler. Et puis, moi aussi il est tout le temps dans ma tête. Il n’y a que quand je suis en classe et que je fais les exercices que ma tête s’ouvre, et encore… Hier, la maîtresse a donné un problème avec une histoire de lacet. J’ai rien compris. à partir du mot lacet, tout est devenu flou, je l’ai vu m’aider à faire les miens dans l’entrée de la maison et à la place de l’histoire du problème de la maîtresse, je t’ai vu toi, tu étais là en face de moi, penché sur mes chaussures avec ton histoire de ver de terre qui ‘s’enroule dans les trous de mes chaussures. Et je suis restée avec cette histoire-là sans doute un bon moment parce que d’un coup, j’ai vu tout le monde se lever pour la récré et j’avais même pas entendu la cloche.
Bon, je vais vous le dire à vous. Pour la balançoire. Je sais qu’un jour, il arrivera derrière moi et qu’il me balancera doucement. Je saurai que ce n’est pas Papa, je le reconnaîtrai, parce qu’il n’a pas tout à fait la même façon de me pousser, lui, il ne tire pas la planche vers l’arrière comme Papa. Mon frère, il pousse mon dos doucement et il raconte l’histoire du petit oiseau qui s’élance pour la première fois, allant de plus en plus haut. Et pis vous savez, je sais qu’il ne viendra pas en vrai, mais il est là quand même, parce que je me rappelle tout. Toutes ses histoires, tous ses mots font revenir les images de lui dans ma tête, alors je me dis qu’il sera toujours là et je souris.
Christophe
"Sans Titre" ou pas.
Ce soir, je tarde à trouver le sommeil. Je pense à cette femme mystérieuse au milieu de cette pièce. Elle m’invite à l’élaboration de multiples scénarios qui m’assaillent, bouillonnent et ne parviennent pas à se matérialiser de manière aussi juste qu’affluent les mots et les interprétations à ma conscience pour les offrir dans le texte, dans la forme, prose, poésie, calligraphie, narration, ou tout autre objet d’écriture, esthétique, plastique et fantastique.
Une silhouette de femme de profil-à moins que ce ne soit un homme, mais gageons que ce soit une femme-seule, semble figée dans cet espace qui serait une cuisine : le décor est sommaire, des étagères, un plan, des pots, un évier. Les couleurs sont chaleureuses et troublantes à la fois. La femme semble suspendue dans l’espace et le temps, autant par son immobilisme que par le regard qu’elle semble porter vers le sol. En arrière-plan, une porte ouverte, la pénombre, une ombre. A quoi pense-t-elle ou ne pense-t-elle pas dans cet espace qui parait serein et silencieux ?
Elle a ce regard fixé vers le sol, les traits de son visage sont graves ; ses cheveux bruns, mi-longs, épais et tombants sur ses épaules cachent la partie basse et la moitié de la face de son visage ne laissant entrevoir que le nez et les yeux, avec ce regard particulier, perdu, dans le flou, le vide ou la réflexion.
L’atmosphère semble paisible dans la pièce, elle est debout dans une apparente immobilité et inaction ; sa main droite posée sur le plan de la cuisine, prête à prendre un verre, ou bien est-ce un pot, au contenu de couleur blanche, comme du lait. A moins que ce ne soit une préparation spéciale pour peindre ou toute autre activité artistique ? Porte-telle une blouse de cuisinière d’un temps révolu, une blouse d’artiste, un tablier ou simplement une robe longue, ou tout autre chose. Sa main gauche est comme suspendue dans l’air, légère avec grâce et délicatesse.
Son regard semble perdu dans le vide, tourné à l’intérieur d’elle-même ; on s’interroge ; son cerveau est-il en activité ou au contraire inactif ? Quelles sont ses pensées ? Quels sont les mots, les pensées qui l’anime… ou pas : une élaboration artistique, ses amours, la douleur, une rupture, un deuil, ses désirs, ses enfants, dans quel état d’esprit se trouve-t-elle ? Que ressent-elle, qu’elles sont ses émotions, ses désirs, ses plaisirs, ses pensées ? Tout cela est bien mystérieux et nul ne peut y accéder, tous les scénarios sont possibles.
Tout indique le calme et l’apaisement autour d’elle, invite à la réflexion ; et pourtant, on devine une forme d’abattement avec son regard dans le vide, porté vers le sol, il se dégage un sentiment d’un instant de solitude dans un temps qui est suspendu.
Un regard subjectif ne peut se hâter à des conclusions hâtives, la scène laisse la porte ouverte à tous les possibles et à toutes les interprétations de son imagination. Si elle est heureuse, malheureuse, lasse, dans un moment de détente, de sérénité, de plénitude, ou de pensées sans importances, des activités banales de la vie, du quotidien ; il est possible d’imaginer toute sorte d’histoires, de raconter une histoire fantastique et de lever le voile sur ce regard qui en dit long, ou pas.
Se sent-elle libre ou bien prisonnière, d’elle-même, des autres, de son amant(e), de sa situation, quel est sa place dans et avec le Monde ?
A moins que... Elle s’appelle Julie, elle a trente et un an ; elle s’est isolée dans cette petite maison dans la campagne que lui a prêté une amie à la suite de sa rupture avec Gaspard. Elle aimerait écrire et peindre et vivre de son Art, cependant, ce n’est pas facile, elle est triste de cette rupture, et c’est en même temps une période de ressourcement par la réflexion sur son futur à venir, sur ce qu’elle traverse, peut se produire, maintenant, en cet instant, l’inspiration, tout ou rien. Elle fait une pause et prend un grand verre de lait, parce que le lait frais ça désaltère et c’est plein de vitamines, c’est toujours bon à prendre. Tiens, penser à acheter de la peinture bleu cobalt en ville demain, en même temps que les courses. Elle quitte la pièce et se dirige vers la porte ouverte.
Le mystère reste entier, l’observateur et le créateur lui-même n’a pas accès à ce que le personnage invoque, de manière consciente ou inconsciente, ou de ce qu’il évoque dans la simplicité du geste des mains, l’une posée et l’autre en suspension dans l’air, l’instant de grâce. Pourtant, tant d’histoires, de scénarios possibles, les possibles, maintenant, à chaque instant, raconter et écrire sa propre histoire, son propre rapport au monde, changer, transformer.
Je me plais aussi à imaginer que le personnage est dans un instant simple d’absolu et de suspension du temps, dans la félicité.
Tout est si calme et apaisé dans cette scénographie aux couleurs douces.
Est-il bien utile de savoir ce que pense cette femme et ce qu’elle traverse si ce n’est un instant suspendu de sérénité, une pause, dans un espace où elle est seule, seule avec elle-même.
L’observateur de la scène, le dessinateur est-il lui aussi présent et spectateur dans cette pièce ?
Peut-être que l’absence de mots dans sa conscience, sa pensée lui permette de ressentir et retrouver les émotions et l’inspiration pour le futur à venir.
Au dehors, dans le jardin, peut-être que sa fille se balance sur la balançoire et qu’elle prend juste un moment pour elle dans cette pièce avant d’apporter un verre de lait à sa fille ou bien elle prépare une collation – et si c’était un broc de bière ? Ma subjectivité est à son comble.
La maison est une maison de plein pied, dans un espace grandiose, entourée des montagnes et forêts aux alentours. La fillette, vu de dos, se balance, la courbure de ses pieds l’indique. Seule aussi, dans ce jardin lui-même dans un grand espace naturel avec forêts et montagnes ; l’air, l’espace dans la nature, la sensation de liberté, peut-être même de voler elle aussi a des cheveux bruns, épais et mi-longs, comme sa mère ?
A quoi pense-t-elle face à ce spectacle grandiose de la nature ? A tout, à rien, au simple plaisir de l’instant saisi et suspendu. L’absence de signes de civilisation indique le calme, la joie, la détente, la sérénité que la nature inspire. Tout est calme et apaisé. La maison de plein pied où se trouve sa mère ou tout autre personne aimante de sa famille. Elle savoure ce spectacle et la solitude et la joie de cet instant, comme tout enfant de cet âge avec cette aptitude émotionnelle de ressentir ces moments d’insouciance. Les mots, il n’y a pas de mots, les mots sont encore inutiles, l’interprétation, des sensations, l’art primaire, dessiner, peindre, les formes, les histoires. Soi et le monde, soi dans le Monde, ressentir.
Que nous raconte un dessin, une peinture, des émotions, des sentiments et à chaque fois, une histoire intime de l’artiste ou, et, de l’observateur, les histoires des spectateurs ? La vie, multiplicité des scènes et des histoires, diversités.
La joie de l’imagination de l’interprétation des images, par les sentiments, le cœur, spontanéité ; les mots de la raison, de l’éducation ; la première œuvre pourrait tout autant s’intituler « scène de la vie ordinaire », que « femme à la cuisine », « Tristana », « cuisine et dépendances », « un instant d’éternité », « libérée », ou autre.
Pour la seconde, « fillette sur la balançoire », « maison de campagne », « scène de campagnes », et ce qu’il vous plaît, puisqu’elle est... « sans titre ».
Les mots sont parfois inutiles pour décrire des sensations indescriptibles et distraire du champ des interprétations possibles et de l’imaginaire. L’œuvre sans titre permet l’ouverture de tous les possibles à toutes les sensibilités, à toutes les subjectivités, autant de regards et multiplicité des émotions des histoires personnelles.
La multiplicité des interprétations est autant de mondes ouverts d’histoires à écrire.
Je ressens une grande douceur dans les représentations graphiques de Frédéric Poincelet avec son trait spécial, léger et imparfait, parfois flou, esthétisme raffiné, avec l’utilisation du stylo à bille.
Dans la citation de Pierre Alechinsky, la réception et l’accueil d’une œuvre se fait a priori à l’aune de la subjectivité du spectateur ; titrer une œuvre par ce qu’elle représente est bien un pléonasme dans la mesure où si l’on intitule « femme dans la cuisine », pour le dessin de F.P, on voit bien que non seulement c’est une évidence, mais qu’il y a bien d’autres possibles.
L’Être au Monde dans chaque instant d’éternité, fixé par une œuvre artistique nous invite à sentir et ressentir notre propre rapport au Monde, avec notre perception spéciale, unique, subjective et notre histoire propre, ou pas.
Chritophe, Au-delà
Je vous écris d’un endroit où la vie n’est plus.
J’ai expiré mon dernier souffle. Je me souviens de moi vivant, inspirant à plein nez l’air, à plein poumons l’oxygène ; cet oxygène qui me permet, moi être vivant d’alors, de me mouvoir, d’agir, de ressentir, de créer, de rire, de penser, d’être, d’exister.
J’aimais que l’Art illumine mon esprit, l’art de la peinture, avec les couleurs, les sujets, l’art de la danse, dense et aérée, les corps légers, écouter de la musique, ressentir les vibrations, les émotions, les rythmes, les tempos, les respirations, les espaces, la lecture, la pensée, les histoires, l’Histoire, toutes les formes de création, tout ce qu’insuffle le simple souffle d’air.
Pour moi, enfin, tout est terminé, le repos éternel, le moi intime, disparu, effacé, même la conscience savoureuse de ma présence à moi n’est plus.
Après des années d’une lente agonie d’une longue maladie, le souffle court, les efforts constants et permanents pour respirer, faire fonctionner le corps, rester vivant.
La valeur du souffle de la vie prend soudain tout son sens dans ces circonstances, la survie du corps, la physiologie, la bio-mécanique, chimie cérébrale, acteurs nécessaires de la création ; c’est bien cette mécanique biologique qui nous fait nous mouvoir, agir, créer, penser, ressentir, les variations des humeurs, la joie, l’amour, la colère, la tristesse, la douleur, la jouissance, toute la palette de tonalités et intensités émotionnelles multiples.
J’ai rendu mon dernier souffle paisiblement, malgré les affres de la maladie jusqu’à la longue, profonde et dernière expiration.
Inspirez, soufflez inspirez, soufflez, encore un peu plus, profondément,
J’ai aimé, j’ai été aimé, j’ai ressenti des émotions profondes et intenses et j’ai vécu ce qu’il me semblait le plus simple à vivre, une vie de l’air de rien, de l’air de tout.
J’ai aimé le soleil sur ma peau, j’ai aimé les corps mêlés dans la chaleur de l’intensité des échanges corporels, j’ai aimé le souffle innocent de l’enfant apaisé sur ma poitrine, j’ai aimé les éclats et les fous rires avec mes proches, des amis, des rencontres.
J’ai aimé faire l’amour
J’ai aimé aimer et être aimé en retour,
J’ai aimé les rires de mes enfants,
J’ai aimé nos baisers passionnés, nos étreintes sensuelles,
J’ai aimé les soirées entre amis,
J’ai aimé les promenades dans la nature,
J’ai aimé le chant des oiseaux, l’odeur des océans,
J’ai aimé le bruissement du vent dans les feuilles,
J’ai aimé respirer les fleurs, l’odeur des sous-bois,
J’ai aimé respirer l’odeur du romarin,
J’ai aimé la chaleur du soleil,
J’ai aimé les sourires,
J’ai aimé la douceur de la neige, contempler les vallées, les montagnes,
J’ai aimé sentir les fleurs, les plantes,
J’ai aimé la légèreté de mon corps flottant sur l’eau,
J’ai aimé les extases sportives, sexuelles, sensuelles,
J’ai aimé les émois et moi,
J’ai aimé certain(e)s autres,
J’ai aimé l’odeur du bois des étagères et du parquet ciré des anciennes bibliothèques,
J’ai aimé l’odeur des livres, des feuilles vieillies et poussiéreuses,
J’ai aimé sentir l’odeur du pot au feu et de la blanquette de veau de ma grand-mère,
J’ai aimé la saveur de fruits exotiques,
J’ai aimé les caresses des vents, des souffles de vie,
J’ai aimé écrire, lire, contempler des œuvres, l’Art,
J’ai aimé la peinture, la danse,
J’ai aimé les vibrations de la musique,
J’ai aimé le théâtre, le cinéma,
J’ai aimé les ateliers d’écritures de Marie,
J’ai aimé apprendre, j’ai aimé ma curiosité,
J’ai aimé le savoir, la connaissance,
J’ai aimé voyager, découvrir, comprendre,
J’ai aimé la philosophe, la sociologie,
J’ai aimé les discussions autour d’un verre qui n’en finissent pas,
J’ai aimé les folies de ma jeunesse,
J’ai aimé les rêves, les sommeils,
J’ai aimé tous ces instants d’éternité,
J’ai aimé mes enthousiasmes, mes élans dans mes projets, mes actions,
J’ai aimé rire, jouir, des plaisirs vaporeux,
J’ai aimé faire la sieste,
J’ai aimé le goût du bonheur,
J’ai aimé la tendresse, la douceur, la gentillesse, la bienveillance,
J’ai aimé l’intégrité, le respect, la Beauté, un certain esthétisme,
J’ai aimé tous les êtres vivants,
J’ai aimé les animaux, tous les animaux,
J’ai aimé tous ces instants agréables en conscience de présence à moi-même,
j’ai aimé et j’ai détesté aussi : j’ai détesté la souffrance et les douleurs de la maladie, j’ai détesté la violence d’un monde, j’ai détesté des injustices, des déterminismes, j’ai détesté les bruits, l’agitation, l’hystérie, les indifférences, l’ignorance institutionnalisée, l’enfermement, les idées courtes, les vues biaisées, j’ai détesté de ne pas m’épanouir dans un métier, j’ai détesté de ne pas arriver à la retraite à soixante-quatre ans ; cela n’a plus aucune importance de mon poste du néant où je suis maintenant ; l’air a disparu en moi, désanimé, mon Être entier, je flotte, peut-être ailleurs, nulle part, mais je suis en paix éternelle, définitive.
L’ état de « repos éternel » me paraît juste dans les circonstances de ma finitude et des turpitudes de mon destin ; lente agonie, asphyxie corporelle, mécanique, psychique, asphyxie de la pensée, des contraintes alentours.
Je me demande s’il reste des traces de moi dans l’espace, de ma présence, dans les souvenirs partagés avec mes proches, mes rencontres, brèves ou plus longues, quelques empreintes mémorielles ; je n’occupe plus l’espace, le temps, mon corps ne fend plus l’Ether, et mon intimité n’existe plus, disparue avec moi.
D’où je suis je ne respire plus, je ne vois plus rien, ne ressens plus rien, destination vers la seule issue possible, irrémédiable, implacable, inéluctable, ma finitude.
Je suis satisfait d’être parti en paix, en accord avec moi-même, car il me semble que c’est élémentaire et apaisant d’être en accord avec soi-même, quoi qu’il en soit…
Prendre la mesure de ce « simple » souffle de vie, de l’action de respirer, moi, ma présence avec le Monde, moi, ma présence au Monde, ma musique intérieure, harmonies extérieures, joies de ressentir, de respirer : fermer les yeux, ressentir l’air qui entre par les narines, se diffuse dans toutes les parties du corps, dans chaque cellule, sentir, ressentir l’inspiration de l’air qui circule au-dessus des yeux et les sensations, le corps vivant, je suis, je vis, je ne suis plus.
A chaque création, avec chaque créature vivante, s’active le souffle de la vie, la présence au Monde, avec le Monde.
Le souffle de vie est le bien le plus précieux, sa force créatrice, souffle créateur en soi de toute chose.
Je vous écris ce message d’un au-delà, ou plutôt d’un après qui n’existe pas, mon souffle de vie m’a quitté, il y a deux jours, dix ans, cent ans, je ne sais plus.
Rien d’autre ne me semble plus important que la conscience de la profondeur de l’air inspiré, la conscience de la présence en soi, vitale et créatrice des vies, à la fois singulières, banales, universelles, toujours uniques.
L’air de rien, l’air de tout, je me suis absenté.
Inspirez, soufflez, inspirez, soufflez, que c’est bon de se sentir présent à soi, puis recommencez, encore et encore, jusqu’à l’issue fatale, le dernier souffle, l’absence éternelle.
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